Article rédigé par le Dr David Owens le 12 mars 2020
Mis à jour le 1er avril 2020
J’ai décrit, dans un article précédent, les principes de gestion des nouvelles épidémies de maladies infectieuses. Les contrôles de santé publique actuellement mis en place diffèrent grandement d’un pays à l’autre ; alors que les pays et organisations ont d’abord réagi avec un manque de lucidité et de coordination, on constate aujourd’hui un plus grand consensus. Il existe cependant des différences fondamentales dans les stratégies mises en place.
J’ai, dans un article précédent, effectué une analogie entre l’épidémie et une série d’incendies développés un peu partout, à partir d’un brasier initial situé à Wuhan. Cet incendie principal à Wuhan et dans la province du Hubei est maintenant sous contrôle, de même que les petits foyers de Singapour, Hong Kong et du bateau de croisière Diamond Princess. Actuellement 50% de ces incendies concernent l’Europe, mais il existe également quelques épidémies un peu partout dans le monde. Heureusement, nous connaissons aujourd’hui les méthodes qui permettent de contrôler les incendies et nous avons également une idée plus claire des dommages que peuvent causer ces feux dans certaines circonstances. Nous sommes maintenant face à un choix : demander à chacun de rester à l’abri dans son bunker anti-feu ou demander à chacun de retourner au travail. C’est une question de risque relatif : les dommages causés par l’incendie, face aux dommages économiques et sociaux dus à l’inactivité et la peur.
Le manuel de l’OMS (1) décrit ainsi la gestion des maladies infectieuses :
Endiguement : un endiguement rapide et efficace des maladies émergentes est aussi vital que la détection précoce, afin d’éviter une épidémie à grande échelle. Un confinement rapide doit être mis en place dès le 1er cas détecté, quel que soit la cause, qui, a toutes les chances d’être inconnue. Des professionnels expérimentés sont indispensables pour mettre en œuvre, en toute sécurité, les contremesures nécessaires. Une formation préalable est essentielle pour garantir l’efficacité et la sécurité de ces opérations.
Contrôle et atténuation : une fois que la menace infectieuse atteint le niveau d’épidémie ou de pandémie, l’objectif des opérations est d’atténuer son impact et de réduire son incidence, sa morbidité et sa mortalité ainsi que la perturbation des systèmes économiques, politiques et sociaux.
Elimination ou éradication : le contrôle de la maladie doit aboutir à son élimination ce qui signifie qu’elle est suffisamment contrôlée pour éviter toute épidémie dans une zone géographique précise. L’élimination signifie que la maladie n’est désormais plus considérée comme un problème majeur de santé publique. Cependant, des mesures d’intervention (de surveillance et de contrôle) doivent se poursuivre afin d’éviter sa réémergence.
Comme je l’ai décrit, les pays doivent naviguer entre le risque humain et économique de la maladie et le risque économique, social et politique du confinement.
« Le retour à la normale sera déterminé par une meilleure compréhension de l’épidémie et un équilibre entre la menace de la maladie d’une part, et le cout humain et économique des contrôles de santé publique d’autre part. Le passage au confinement local, et à la phase d’atténuation et de contrôle, impliquera un changement dans les messages envoyés et nécessitera communication et éducation. »
Les méthodes de confinement impliquent toujours des décisions politiques. Les restrictions de déplacements et les quarantaines sont des décisions qui mettent en balance les droits individuels et les droits collectifs. Je vais essayer de donner un aperçu des arguments défendant chaque perspective. Je voudrais à nouveau rappeler que je suis médecin et que j’ai donc un biais lié à la communauté médicale. Il n’est pas de mon ressort, ni de ma volonté de faire valoir des arguments politiques. Une compréhension rationnelle de ce processus implique une reconnaissance des biais implicites et explicites et une prise de conscience de l'inévitable discours politique sous-jacent dans la lutte contre les maladies infectieuses.
Les objectifs du confinement :
Les pays élaborent des plans de préparation pour endiguer les maladies épidémiques mais inévitablement, les capacités de préparation diffèrent d’un pays à l’autre. Il faut savoir que le confinement précoce réalisé par la Chine dépassait la simple fermeture des villes et les restrictions de déplacements. Des équipes d’épidémiologistes (1800 équipes de 5 personnes chacune, rien qu’à Wuhan) ont mis en place un traçage systématique des contacts et des quarantaines. J’ai recu de nombreuses critiques pour mon utilisation des données chinoises. J’ai clairement reconnu que toute analyse de données dépend de la validité et de l’intégrité de ces données. J’encourage tous ceux que cela intéresse à lire le rapport de l’OMS au sujet de la réponse apportée par la Chine, et à en tirer ses propres conclusions. (3)
Nous avons pu constater une certaine controverse au sujet du retard pris par l’Italie dans sa stratégie de confinement. Face à un système de santé sous forte pression à cause de l’épidémie de COVID-19, alors qu’une sévère épidémie de grippe est toujours en cours, le gouvernement a opté pour une stratégie de confinement agressive à court terme afin de retarder et lisser le pic épidémique. Un autre exemple de confinement est celui de la Corée ou 316 664 personnes ont été testées, 9 887 cas de COVID-19 ont été confirmés et le taux de mortalité est aujourd’hui de 1.6%.
Hong Kong et Singapour sont deux entités géographiques qui partagent de nombreuses similarités dont l’excellence de leur système de santé et l’expertise du contrôle des maladies infectieuses. Tous deux ont une législation de santé publique forte, des plans de préparation très élaborés, et (malgré les récents troubles à Hong Kong) une tradition de responsabilité civique et l’acceptation d’un certain degré de limitation de l’autonomie individuelle dans l’intérêt de la communauté. L’exemple le plus parlant est peut être celui de l’acceptation généralisée des cartes d’identité qui ont, historiquement, joué un rôle important dans la lutte contre les maladies infectieuses à Hong Kong (en facilitant la recherche des contacts et la quarantaine). Il est reconnu que les contrôles de santé publique ont permis de limiter la propagation de l’épidémie de SRAS en 2003.
La stratégie actuelle du gouvernement de Hong Kong est de minimiser au maximum le nombre de cas importés : capter, détenir et mettre en quarantaine, et tenter de contrôler la propagation locale, de telle sorte que la maladie ait un impact local nul ou aussi faible que possible.
Le directeur général de l’OMS, dans son discours annonçant la pandémie, a rappelé l’importance de la préparation mais également l’importance de ne pas abandonner les stratégies de confinement. En plus des quarantaines déjà en place, il a insisté sur l’importance du dépistage afin d’identifier les cas.
« Une fois que la menace infectieuse atteint le niveau d’épidémie ou de pandémie, l’objectif de la réponse est d’atténuer son impact et de réduire son incidence, sa morbidité et sa mortalité, de même que les perturbations du système économique, politique et social. » OMS
Pendant la pandémie de grippe porcine H1N1 en 2009, une période relativement longue a été dédiée au confinement. Ce fut la réponse « capter, isoler et traiter ». A la suite de celle-ci, le plan britannique de préparation à la pandémie de grippe de 2011, qui a tiré les leçons de ce processus, a alors insisté sur la nécessité de maintenir le plus longtemps possible, la continuité des services essentiels ainsi que les activités quotidiennes. (4) Un récent éditorial de Wilder-Smith de la London school of tropical medicine, paru dans le Lancet, parvient à la même conclusion quant au COVID-19, suggérant ainsi de passer à la phase d’atténuation. (5). Dans un autre article du Lancet (6), Anderson déclare que le Royaume Uni est déjà entré dans la phase de retardement et d’atténuation, tout comme l’Italie, la Corée du Sud, le Japon et l’Iran. Le graphe ci-dessous, provenant de ce même article, montre que la distanciation sociale a pour objectif d’aplanir la courbe correspondant à la taille de l’épidémie, pour alléger la pression exercée sur les systèmes de santé.
Document 1 : Simulation avec isolation des cas uniquement (en rouge) ; Simulation avec distanciation sociale tout au long de l’épidémie, ce qui aplatit la courbe (en vert) ; Simulation avec une distanciation sociale plus efficace mais sur une période de temps plus courte, classiquement suivie par une résurgence épidémique dès que les interactions sociales reprennent (en bleu).
Bathia et ses collegues de l’Imperial College ont conduit une étude épidémiologique, fréquemment citée, dans laquelle ils estiment que les 2/3 des cas d’infections exportés des premiers foyers de Chine n’auraient pas été identifiés.(7)
La maladie s’est maintenant propagée, et, que nous l’appelions pandémie ou pas, elle se comporte comme telle. Un confinement total n’est plus possible. Heureusement, nous comprenons mieux la maladie ; elle semble moins grave qu’imaginé au début et sa mortalité est relativement basse, sauf chez les personnes âgées ou présentant des maladies par ailleurs. Nous savons également, qu’à partir d’un certain seuil, l’immunité collective empêche toute épidémie de s’installer. Dans la réalité, ce chiffre est impacté par plusieurs facteurs imprévisibles dont les mesures de santé publique, le climat, et la possible atténuation naturelle du virus avec le temps (affaiblissement). En règle générale, une maladie ayant un R0 de 2 commence à s’éteindre lorsque la moitié de la population développe une immunité. Pour un R0 de 3, ce chiffre monte à 66%. C’est sur ce concept d’immunité collective qu’est basée une partie de la stratégie du Royaume Uni ; en effet, il préconise des mesures de distanciation sociale ciblée pour aplanir la courbe, isoler les patients les plus vulnérables et les personnes âgées, tout en maintenant un certain degré de mixité, de façon à ce que les membres les moins vulnérables de la communauté développent une immunité. Parallèlement, la stratégie est de rediriger les ressources vers les hôpitaux plutôt que de mettre en place un dépistage à grande échelle, et de gérer la quarantaine.
Par ailleurs, la pauvreté reste le facteur limitant de la santé dans le monde (9) et la croissance économique est la réponse la plus efficace pour réduire la pauvreté (10). Si l’on se base sur la vision utilitariste du plus grand bien pour le plus grand nombre, nous pourrions vacciner chaque enfant dans le monde pour une infime fraction de l’impact économique de cette maladie, mais si nous n’améliorons pas ces conséquences économiques alors nous ajouterons encore au problème déjà existant.
Le Royaume Uni, l’Europe et les Etats-Unis sont directement entrés dans la phase de retardement et d’atténuation. Les décisions locales en termes de taille de population contrôlée, de limitation de voyage, de fermeture d’école et de quarantaine, ont parfois différé, mais la stratégie a clairement été d’utiliser les mesures de santé publique pour contenir le pic épidémique de COVID-19 afin de contrôler la tension exercée sur les systèmes de santé. Il semble probable que la majorité des démocraties occidentales traditionnelles, ainsi que la plupart des autres pays, utiliseront les mesures de santé publique de confinement et les stratégies d’atténuation pour réduire le pic épidémique, mais laisseront l’épidémie se consumer par elle-même, tout en essayant d’alléger la pression sur les systèmes de santé et en maintenant l’activité économique. Les politiques initiales, relativement douces, du Royaume Uni, ont été modifiées assez rapidement, face à la gravité de la situation en Italie et à la suite de la publication d’une étude épidémiologique de l’Imperial College de Londres qui prévoit un débordement du système hospitalier en l’absence de règlementation de santé publique plus importante.(11) Une plus récente étude, d’Oxford, estime, quant à elle, que l’immunité collective réelle est plus importante que ce que l’on pense. Il est aujourd’hui trop tôt pour savoir quel modèle suivra finalement l’épidémie actuelle. (12)
En réalité, un débat universitaire de spécialistes de santé publique se joue actuellement sur la scène internationale. L’OMS a clairement opté pour une politique de dépistage, d’isolation et de mise en quarantaine afin de contenir la maladie. Cela a très bien fonctionné en Chine, à Hong Kong, à Singapour et en Corée, et a fourni un modèle permettant de réduire la taille de l’épidémie. Cela donne également du temps pour étudier la meilleure stratégie d’endiguement et d’atténuation, pour développer des tests, pour trouver un traitement et travailler sur un vaccin, tout en espérant que des facteurs naturels environnementaux aideront également à réduire la taille de l’épidémie. Le contre-argument est qu’une fois que la maladie a « échappé » à la phase de confinement, les populations situées dans les zones confinées ne pourront pas rester protégées indéfiniment sans que l’isolement ait un impact significatif sur la vie économique et sociale. A moins que la maladie ne s’éteigne ou qu’un vaccin ne soit trouvé, les populations non immunisées devront finir par acquérir une immunité. Les résultats de ces différentes stratégies, ainsi que des différentes méthodes de distanciation sociale et d’isolement, nous donneront des informations utiles pour gérer, non seulement cette épidémie, mais également les futures épidémies de nouvelles maladies.
A Hong Kong, tout patient diagnostiqué porteur du COVID-19 est admis à l’hôpital, généralement pour au moins 2 semaines, quels que soient ses symptômes ; les personnes en contact étroit avec lui sont placées en quarantaine dans des centres appartenant au gouvernement. Au Royaume Uni, ces patients sont renvoyés chez eux ; ils doivent, ainsi que les membres de leur famille, effectuer une auto-quarantaine et porter un masque, et ne sont admis à l’hôpital que s’ils font partie du petit nombre de patients développant des complications. D’un côté, la stratégie britannique ne protège pas la population de la propagation du virus de façon aussi efficace qu’à Hong Kong ; de l’autre, la plupart des patients développent des symptômes bénins. Si plus de 80% des cas à Hong Kong pouvaient être gérés à domicile, cela économiserait plus de 1000 journées d’hospitalisation. Combien de patients traités pour un cancer, une maladie cardiaque, ou autre, ont vu leur traitement retardé ? Comment cela sera-t-il interprété face au poids du COVID-19 ? Les mêmes principes sont en jeu dans l’administration, le système judiciaire et, à terme, le fonctionnement de l’économie. Le contre-argument de Hong Kong tient au fait que les hôpitaux sont capables de fonctionner, justement par ce que Hong Kong a su gérer la taille de l’épidémie.
Il existe de nombreuses inconnues, mais mon analyse personnelle est que notre meilleure option, à ce jour, est celle qui sera de toute façon mise en place, à terme. Cette maladie continue à montrer un faible taux de mortalité et ne semble pas affecter les enfants et les jeunes individus. Il est important de garder à l’esprit que le taux de mortalité, qui est basé sur le nombre de morts et le nombre de cas diagnostiqués, surestime probablement le taux réel. L’évidente contagion constatée dans les foyers épidémiques montre, selon moi, qu’un nombre important de formes peu graves de la maladie n’a pas encore été diagnostiqué, ce qui, par définition, donnera un taux de mortalité final plus bas que le taux estimé à partir des cohortes actuelles.
Toute intervention de santé publique nécessite une analyse des bénéfices et des risques, et l’un des objectifs-clef du contrôle des maladies infectieuses est de minimiser la mortalité au sein de la population, tout en minimisant également les effets délétères au plan social, politique et économique. Le facteur limitant de la santé, au sein d’une population, reste la pauvreté, et toute intervention qui ignore les conséquences économiques, prend le risque de faire plus de mal que de bien.
A ce jour, le COVID-19 a tué 39 588 personnes ; à titre de comparaison la grippe tue 650 000 personnes chaque année. Le COVID-19 n’est pas une grippe ; nous ne possédons pas encore de vaccin contre le COVID-19, et il semble être plus grave au cas par cas. Mais tant que nous n’avons pas plus d’informations concernant le nombre de cas plus bénins, nous ne pouvons en être certains. La mortalité finale dépendra de l’épidémie et sera influencée par les mesures de santé publique prises, la distanciation sociale, mais aussi des facteurs environnementaux. Encore une fois, je ne cherche absolument pas à minimiser l’importance de cette maladie d’un point de vue global de santé publique. Par sa nature même, cette maladie met une forte pression sur les systèmes de santé. L’objectif principal des mesures de distanciation sociale est d’aplanir la courbe et d’éviter une trop forte pression sur les systèmes de santé. Si nous ne voulons pas voir les répercussions économiques et sociales des mesures de santé publique causer plus de tort que la maladie elle-même, nous devons maintenant nous concentrer sur un retour de l’activité économique et nous devrons nécessairement passer du stade de confinement à celui de l’atténuation. La gestion de cette épidémie passera par la recherche de l’équilibre suivant : atténuer l’impact de la maladie sur chaque individu et sur les systèmes de santé, tout en minimisant les conséquences des contrôles de santé publique sur la vie sociale et économique de Hong Kong.
Pour en savoir plus sur les dernières Nouvelles du COVID-19, cliquer ici.