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COVID-19: les dangers de la prédiction

Rédigé par OT&P Healthcare | mars 27, 2020

Article rédigé par le Dr David Owens le 19 mars 2020

Mis à jour le 24 mars 2020 

« En supposant que 80% de la population sera affectée et que le taux de mortalité de 1%, nous prévoyons qu’il devrait y avoir jusqu’à 800 000 décès. »

Voilà une annonce typique de ces dernières semaines, reflet des commentaires de ministres de la santé et de politiciens de divers pays. Mais que cela signifie-t-il?

Ce sont des mathématiques du niveau primaire. Ce pays hypothétique compte 100 millions de personnes. On ne sait pas d’où sort le 80% ; quant au 1%, même s’il n’est pas choisi au hasard, est bien loin des données objectives.  On se retrouve ainsi avec 80% de 100 million X 1% et bingo, on obtient le nombre de morts. Mais cette prédiction vaut-elle vraiment quelque chose, est-elle fiable ? Sans surprise, la réponse est non. 

Supposons que la population soit fixe et ignorons donc que le fait que certains mourront (et d’autres naitront). Donc, considérons ces 100 millions comme une donnée objective. 

Qu’en est-il du 1% de taux de mortalité ? La moyenne d’âge des décès dans la cohorte italienne était de 81 ans, en réalité 83.4 ans pour les femmes et 79.9 pour les hommes, avec un ratio hommes-femmes de 4 pour 1. Les 2/3 des patients étaient fumeurs ou avaient d’autres maladies. Le foyer d’infection italien était un peu plus âgé que le foyer chinois, mais, cela mis à part, ils sont relativement similaires. Donc, est-ce que cette maladie aura des conséquences plus graves chez les personnes âgées, déjà malades, et en particulier les hommes ? Cela semble en effet être le cas. Parmi les 44 000 premiers patients en Chine, le taux de mortalité des plus de 80% était de 14.8%. Cela signifie aussi que 85.2% des patients les plus âgés, suffisamment malades du COVID-19 pour venir consulter à l’hôpital, s’en sont remis. 

1.    La question de la généralisation 

La maladie ne se comporte pas nécessairement de la même façon dans différentes populations. J’ai décrit dans un article précédent, l’intérêt que j’ai développé pour cette question alors que j’étais jeune interne, travaillant auprès de patients atteints du VIH/SIDA. On m’avait alors annoncé que j’avais 25% de risque de mourir dans les 15 ans (plus encore, du fait que j’étais un soignant) ; un message qui marque ! Cette prédiction a jeté les bases de mon intérêt personnel pour l’épidémiologie. Ces projections simplistes sont invariablement fausses pour des raisons prévisibles. J’ai, par exemple, expliqué que la charge virale était un facteur de gravité du SIDA, et je pense que cela est valable aussi pour le COVID-19. L’âge, le sexe, la comorbidité (maladies associées) et la cigarette, sont également des facteurs. Extrapoler le taux de mortalité d’un foyer d’infection à d’autres populations est une erreur banale et très fréquente.  

2.     Le problème du dénominateur 

J’ai expliqué dans un article précédent le dilemme des prédictions basées sur les premières données lors d’une épidémie. Le taux de mortalité est un calcul simple :

                 nombre de morts du COVID-19 / nombre de personnes infectées par le COVID-19 

Dans les premiers temps d’une épidémie, le numérateur comme le dénominateur posent problème. Le dénominateur constitue le plus gros problème car il est très difficile à évaluer, tant que l’on ne dispose pas de test de dosage d’anticorps disponibles à grande échelle. Combien de cas bénins existe-il dans la communauté pour chaque cas dépisté ? Est-ce que l’ensemble des enfants et jeunes adultes faisaient partie de cette cohorte ? Tant que nous ne disposons pas de test précis, nous ne saurons pas combien de cas bénins n’ont jamais été diagnostiqués. Le taux brut de mortalité du COVID-19 se situe autour de 4% (il s’agit du taux brut de mortalité en Chine et des données combinées du reste du monde). Mais qu’en est-il de la variabilité entre les différents foyers d’infection ? Le taux de mortalité en Italie est de 9.5% mais il n’est que de 1.2% en Corée. En Allemagne ce taux est de 0.4% et, à Singapour, on ne déplore que  2 morts sur plus de 500 cas. Le rôle des systèmes de santé dans ces écarts est surestimé. La plus grande différence est le nombre de dépistages réalisé et donc le nombre de cas peu graves ainsi diagnostiqué. Si l’on finit par réaliser un dépistage massif au sein de notre pays imaginaire, et que l’on trouve finalement 10 cas peu graves pour chaque diagnostic réalisé, cela modifie notre taux de mortalité, qui passe donc de 1% à 0.1%, ce qui fait passer le nombre de morts de 800 000 a 80 000, avant même de prendre en considération tout autre facteur. 

Par ailleurs, qu’en est-il du 80% ? Là encore, il s’agit d’une simplification. Cette maladie est clairement contagieuse. Mais on sait qu’au-delà d’un certain seuil, l’immunité de la population empêche une épidémie de s’installer. On parle beaucoup du pire scenario qui serait de 80%. Dans le monde réel, ce chiffre sera impacté par des facteurs que l’on ne peut pas prévoir au cours d’une épidémie, tels que les mesures de santé publiques qui seront prises, le climat, l’atténuation naturelle potentielle du virus (affaiblissement) avec le temps. En règle générale, une maladie infectieuse dont le R0 est  de 2, commence à s’éteindre quand 50% de la population acquiert une immunité. Pour un R0 de 3, ce nombre monte à 66%. C’est le concept de l’immunité collective, sur laquelle se base une partie de la stratégie du Royaume Uni. Ce n’est cependant pas sa seule stratégie. Le Royaume Uni préconise des mesures de distanciation sociale ciblées pour aplanir la courbe, isoler les patients vulnérables et âgés, tout en maintenant un certain degré de mixité sociale de telle sorte que les membres les moins vulnérables développent une immunité. Parallèlement, le pays choisit d’entrer en phase d’atténuation et de gestion plutôt qu’en confinement agressif et décide de ne pas dépister.  

En réalité, se déroule aux yeux du monde, un débat académique des cercles de santé publique. L’OMS a clairement opté pour une politique basée sur le dépistage, l’isolement et la quarantaine afin de contenir la maladie. Cette méthode a été efficace pour la Chine, Hong Kong, Singapour et la Corée et constitue un modèle pour réduire la taille de l’épidémie. Cela nous donne du temps pour obtenir plus d’informations sur les meilleures stratégies d’endiguement et d’atténuation, pour développer des tests de dépistage, pour trouver des traitements et travailler sur un vaccin, tout en espérant que les facteurs environnementaux naturels contribueront à réduire l’épidémie.  

Le contre-argument est que lorsque la maladie a échappé à la phase d’endiguement, les communautés qui se retrouvent enfermées ne pourront pas être protégées éternellement, sans conséquences économiques et sociales importantes. A moins que la maladie ne s’éteigne par elle-même ou qu’un vaccin ne soit développé, ces populations non immunisées devront, à terme, développer une immunité. Les résultats obtenus avec les différentes stratégies, ainsi que les différentes méthodes de distanciation sociale et d’isolement mises en place, nous donneront des informations importantes pour gérer, non seulement cette épidémie, mais également les futures épidémies de nouvelles maladies.  Il est difficile de savoir si les déclarations des politiciens au sujet de la mortalité ont pour objectifs de gérer les attentes ou de provoquer des changements de comportement par la peur. Des expériences passées, nous savons que les tactiques basées sur la peur peuvent fonctionner, mais uniquement à court terme. Dans les premiers temps de l’épidémie de VIH/SIDA, les politiciens ont plaidé pour diverses mesures dont l’abstinence. Même sans être un expert de santé publique, vous imaginez bien qu’elle  pourrait être l’efficacité d’une telle politique de santé publique.    

La gestion des maladies infectieuses est basée sur l’information et l’éducation. L’idéal est un leadership politique fort, qui reconnait les incertitudes, et admet honnêtement les risques et les challenges, tout en luttant contre la désinformation et en gérant l’anxiété, grâce à des messages de santé publique et en rassurant calmement. Cette épidémie, via la crise de santé publique qu’elle a généré, aura montré quelques bons (et moins bons) exemples de leadership politique. 

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