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Les risques de communication lors d’une épidémie : un point de vue personnel

Rédigé par OT&P Healthcare | février 25, 2020

Mis à jour le 25 Févier 2020 – Dr David Owens

En 1986, j’étais interne en pneumologie. Mes collègues et moi étions témoins de l’augmentation d’une forme particulière de pneumonie liée au SIDA, une maladie alors relativement nouvelle. La population  était véritablement inquiète. Les individus homosexuels (LGBT) étaient stigmatisés et accusés d’être à l’origine de cette nouvelle épidémie décrite dans les médias comme la « peste gay ». A l’occasion d’une conférence à laquelle j’assistais cette année-là, un spécialiste du SIDA prédit qu’à l’horizon de l’année 2000, le SIDA aurait décimé 25% de la population. Heureusement, il avait tort.

Les raisons pour lesquelles il avait tort restent pertinentes aujourd’hui, tout comme elles l’étaient en 2003 lors de l’épidémie du SRAS. Le dilemme des prédictions basées sur les données épidémiques les plus précoces est expliqué ici.

J’ai décrit dans un autre article combien il est important d’appréhender les nouvelles maladies infectieuses en tenant compte à la fois des incertitudes liées à la maladie et des incertitudes liées à l’épidémie. Il existe une réelle tendance à confondre la gravité de la maladie avec son caractère infectieux. Ces 2 sujets distincts font référence à 2 questions totalement différentes :

  1. Les informations concernant la maladie elle-même permettent de répondre à la question « que se passera-t-il si moi-même ou l’un des membres de ma famille tombe malade ? » 
  2. Les informations concernant l’épidémie permettent de répondre à la question «  quel est le risque que cette maladie m’impacte et ce risque évolue-t-il ? » Cette question tourne autour du risque.

Ce concept entretient une faille innée dans le programme du cerveau humain. Il semble que nous soyons programmés pour amplifier certaines peurs et confondre gravité et risque.

Pensez par exemple à la peur que nous inspire les attaques de requins, dont le nombre annuel de morts le plus élevé a été de 98, comparativement à celle inspirée par les moustiques qui tuent pourtant plus de 1 million de personnes chaque année (source OMS)1. Nous tenons pour un avantage de l’évolution le fait que notre progéniture évite les araignées et les serpents. Il y a de la même façon, quelque chose de primitif dans la peur des épidémies. Les leçons des épidémies passées peuvent ou non avoir laissé des traces, mais elles sont solidement ancrées dans le récit des hommes.

Les médias se nourrissent de cette faille.  Essayer de remplacer « virus mortel » ou « virus létal » par « voiture mortelle » ou « taxi létal ». Bien sûr, le risque évolue au cours d’une épidémie mais au moment où j’écris ces mots, 2 698 personnes sont mortes du COVID-19 en Chine depuis 2 mois ; en comparaison, l’OMS estime que les accidents de la route font 1.25 million de morts par an dans le monde2. Si l’on cherche une référence sur laquelle s’appuyer, une meilleure comparaison est probablement celle de la grippe aux Etats-Unis qui a déjà tué 14 000 à 36 000 personnes cet hiver3.

La question est donc : comment traiter ce problème qui semble ancré si profondément dans la psyché humaine ?

L’épidémie d’anxiété

L’anxiété est extrêmement contagieuse ; elle l’est bien plus que le COVID-19 lui-même. Les causes majeures de l’anxiété sont le manque de contrôle et l’incertitude. On sait qu’une caractéristique fréquente de l’état d’anxiété est l’interprétation négative et la tendance à tourner une chose en catastrophe lors du traitement de l’information. Pour traiter l’anxiété il faut donc notamment remettre en cause ces interprétations négatives prédominantes, ce qui implique remettre en cause la façon de penser et regarder s’il n’existe pas une autre explication. L’information et l’explication sont de puissants antidotes aux épidémies d’anxiété. Elles fournissent un paradigme sur lequel s’appuyer pour retrouver un sentiment de contrôle.

Notre compréhension des prises de décisions en période de stress se fait sur la base de données factuelles. L’économie comportementale a permis de mieux comprendre la prévisible nature irrationnelle de nos pensées. L’information et l’explication aident à contrôler les pensées anxieuses et conduisent à prendre de meilleures décisions.

En quoi cela s’applique-t-il au coronavirus ?

Je pense que, comme dans les années 80 avec le VIH ou en 2003 avec le SRAS, donner des informations objectives en quantité suffisante permettra au plus grand nombre d’appréhender la situation actuelle avec moins d’anxiété.

J’ai résumé ci-dessous les indices-clefs permettant de faire avancer la compréhension de

  1. La maladie
  2. L’épidémie

Cette section sera régulièrement mise à jour.

L’évolution actuelle de l’épidémie suggère que cette maladie devrait continuer à se développer « en foyers ». Il y aura de nouveaux cas et de nouveaux décès. Nous devons nous y attendre et le comprendre, particulièrement en ce moment, alors que l’épidémie continue à se développer. Essayer de comparer les données par rapport à un point de référence ; cela permet d’évaluer de façon plus juste l’évolution des risques. A titre d’exemple, le CDC (centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies) annonce 90 à 220 morts par jour à cause de la grippe aux Etats-Unis. En Chine, ce nombre serait très probablement de 300 et 700 morts par jour.

Les prochaines semaines nous apporteront à la fois plus de données chiffrées mais également plus de certitudes. Le paradoxe est le suivant : il semble que plus cette maladie sera répandue, moins elle sera sévère au cas par cas. Le taux de mortalité semble diminuer et la maladie semble moins sévère que ce qui était initialement imaginé, sauf chez certaines personnes vulnérables. L’infection touche majoritairement les personnes âgées, plutôt les hommes et la plupart souffrant déjà d’autres maladies.

Je voudrais insister à nouveau sur le fait que ce virus est différent de celui de la grippe. Nous disposons à la fois de vaccins et de traitement contre la grippe. Cependant, la prise de décision est toujours meilleure lorsque l’on dispose d’un point de référence sur lequel appuyer notre analyse. Aussi, si l’on se base sur les données du virus de la grippe, le COVID-19 semble être plus grave que la grippe pour certaines personnes. Cela pourrait évoluer avec les nouvelles données que nous collectons (en fonction du nombre de personnes qui développeront une forme plus bénigne, cette maladie pourrait finalement n’être pas plus grave que la grippe voire moins). Comme la grippe, cette maladie affecte surtout les personnes âgées qui ont également tendance à avoir des maladies concomitantes. Le risque que vous tombiez malade dépendra de l’étendue de la propagation de l’épidémie. Pour le moment, les chiffres sont encore très faibles : 80 139 personnes infectées, comparé aux 26 à 36 millions de cas de grippe cet hiver aux Etats-Unis3. Il est très probable que ces chiffres augmenteront, et c’est la vitesse à laquelle ils évolueront qui nous donnera une mesure objective de l’évolution du risque.

Je voudrais également souligner à nouveau notre total soutien aux mesures sanitaires prises par Hong Kong ainsi qu’à la réponse sanitaire extraordinaire prise en Chine. En effet, ce virus reste une menace potentiellement sérieuse de santé publique à l’échelle mondiale. Une maladie qui s’avère moins grave qu’initialement estimé peut tout de même affecter durement les ressources hospitalières. Les mesures de santé publique prises au plus tôt peuvent permettre de retarder significativement ou d’éviter la progression de la maladie au sein de communautés disposant d’un système de santé moins développé.

Les opinions données ci-dessus sont le reflet de réflexions personnelles basées sur mes 30 ans d’expérience en tant que médecin à Hong Kong ainsi que sur une revue personnelle de la littérature scientifique disponible. Il existe encore aujourd’hui des incertitudes sur l’évolution de cette épidémie. Je continuerai à mettre à jour cette fiche récapitulative, en y incluant les références académiques, au fur et à mesure que les données arrivent.

Dr David Owens

Pour plus d’informations sur la différence entre maladie et épidémie, cliquer ici.

 

References

1. Who.int. (n.d). Mosquito-borne diseases. [online] Available at: https://www.who.int/neglected_diseases/vector_ecology/mosquito-borne-diseases/en/ [Accessed 5 Feb. 2020].

2. Who.int. (n.d). Road traffic deaths [online] Available at: https://www.who.int/gho/road_safety/mortality/en/ [Accessed 5 Feb. 2020].