L’information et l’éducation sont des facteurs essentiels dans la gestion des maladies infectieuses. Faire la distinction entre une maladie et une épidémie est fondamental.
Mise à jour le 27 Mars 2020
Les incertitudes liées à une maladie infectieuse sont de 2 natures totalement différentes mais liées:
“Que m’arrivera-t-il si je tombe malade ?”
“Quel est le risque que je tombe malade aujourd’hui ?”
“Est-ce que ce risque changera à l’avenir ?”
Le directeur général de l’OMS a souligné l’importance des stratégies de confinement (endiguement) en cours, et en particulier le dépistage, et a exhorté « tous les pays à adopter une approche globale adaptée à leur situation, avec le confinement comme axe principal ». Il a recommandé de tester, tester, tester, et a encouragé tous les pays à apprendre des expériences de Hong-Kong, de la Chine, de Singapour, de Taiwan, de Corée, qui ont tous, à des degrés divers, réussi à contenir l’épidémie, avec, comme stratégie centrale, l’identification des cas, la recherche des contacts et la mise en quarantaine (cf les courbes épidémiques qui sont mises à jour régulièrement).
La maladie se propage dorénavant plus largement et plus rapidement. J’ai expliqué, dans un article précédent, l’intérêt de retarder la propagation de l’épidémie. L’Europe concentre maintenant plus de 50% des cas d’infection et plus de 60% des morts.
Une analyse des 44 000 premiers cas d’infection a montré que 80% des malades ont développé une forme bénigne, 14% une forme grave et 5% une forme très grave. Une récente publication dans le Lancet a décrit le pronostic de patients dans un état grave ; l’âge moyen de cette cohorte était de 60 ans et 67% des patients étaient des hommes. Les auteurs ont conclu que « la gravité de la pneumonie causée par le virus SARS-CoV-2 met une forte pression sur les services de soins intensifs hospitaliers, en particulier s’ils n’ont pas le personnel ou le matériel adapté ».(1) Ce message a été renforcé par une récente étude parue dans le Lancet au sujet de l’expérience italienne (2). L’âge moyen en Italie était de 81 ans, variant de 83.4 ans pour les femmes à 79.9 ans pour les hommes, avec un ratio homme-femme de 4 pour 1. Les 2/3 des individus qui ont succombé présentaient également d’autres maladies ou étaient fumeurs, et 9 à 11% des patients admis à l’hôpital ont eu besoin de soins intensifs.
Le Dr Judith Mackay, médecin respectée de santé publique, suggérait, en réponse à notre article initial, que cette différence homme/femme pouvait être liée à la cigarette. Elle a, en effet, souligné que 50% des hommes en Chine sont fumeurs contre 3% des femmes seulement. Sans aucun doute, la réponse apportée par la santé publique devrait, également, inclure la promotion d’un mode vie sain, incluant la pratique d’un sport, un régime équilibré, et une vie sans tabac. Des études plus poussées seront nécessaires pour quantifier ces risques, mais cela constitue un rappel supplémentaire concernant l’extrapolation des données : il ne faut ne pas supposer que les données d’un foyer épidémique se comporteront toujours de façon identique, dans d’autres circonstances ou avec d’autres populations.
La mortalité en Chine est actuellement de 4%. Dans le reste du monde si l’on exclue la Chine, ce taux est de 4.6% (22 545/487 465). Ces chiffres sont très probablement exagérés puisque de nombreuses personnes développent une forme bégnine de la maladie et ne sont donc pas dépistées. Il est difficile d’évaluer la mortalité d’une maladie au sein de foyers d’infection mixtes. A titre d’exemple, prenons l’Italie, la Corée et lAllemagne. Le taux de mortalité actuel en Italie est de 10.1%. Bien que le système de santé publique puisse être mis en cause, il semble plutôt que ce chiffre s’explique par un grand nombre de cas non diagnostiqués au sein des foyers d’infection les plus récents et ne disposant que d’une capacité de tests limitée. Le nombre de cas en Corée ne représente que 15% du nombre de cas en Italie, mais les Coréens ont testé 1.5 fois plus d’individus, et le taux de mortalité coréen est de 1.5%. Le taux de mortalité en Allemagne est de 0.5%.
Actuellement, le principe du dépistage est un test PCR qui détecte la présence du virus. De nombreux tests sanguins, basés sur la recherche d’anticorps sont maintenant utilisés, et nous aurons plus d’informations sur la précision de ces tests dans les semaines à venir. Il est trop tôt pour savoir quelle sera finalement la gravité de cette maladie, mais pour les raisons décrites précédemment dans cet article, on sait que les taux de mortalité initiaux, basés sur les données précoces des épidémies, sont fréquemment revus à la baisse avec le temps.
Imaginez une nouvelle maladie pour laquelle 100 personnes se rendent à l’hôpital et dont 10 d’entre elles meurent ; cela donne un taux de mortalité de 10%. Imaginez maintenant que l’on dispose d’un test montrant que, seul 1 patient sur 100 développant la maladie dans la communauté, devient suffisamment malade pour se rendre à l’hôpital, les 99 autres restant au lit, chez eux, ou continuant même à travailler avec un mal de gorge ou une toux modérée. Dans ce cas, il y a alors 10 000 personnes malades, dont 100 se rendent à l’hôpital et 10 meurent. Le taux de mortalité réel de la maladie est alors de 0.1%. C’est le taux de mortalité de la grippe. Il est trop tôt pour savoir quel sera le taux de mortalité final du COVID-19. L’OMS estime actuellement le taux de mortalité entre 0.3% et 1%, alors que cette estimation était de 2% le 29 janvier. Le taux final pourra être plus élevé ou plus faible, en fonction du nombre de formes bégnines développées. Ce taux sera probablement plus élevé si les systèmes de santé finissent pas être dépassés. Cela augmenterait la mortalité liée au COVID-19 mais également celle liée aux autres problèmes médicaux urgents. La propagation rapide de cette maladie suggère cependant qu’elle a toute les chances d’être finalement moins grave que l’on ne l’imaginait, à condition que les mesures de santé publique parviennent à soulager les systèmes de santé, de façon à ce qu’ils puissent continuer à fonctionner efficacement. Cela explique les récents changements de réglementation de santé publique.
Deux grandes études épidémiologiques ont fait parler d’elles. L’étude de l’Imperial College London suggère que l’absence de mesures de santé publique forte, visant à éradiquer l’épidémie, pourrait s’accompagner d’une accélération de la flambée épidémique, avec un taux de mortalité potentiellement élevé. (3) Cette étude serait à l’origine du changement de stratégie du Royaume Uni et des Etats-Unis. Une plus récente étude, d’Oxford, prédit quant à elle, une maladie moins grave mais plus largement répandue, ce qui suggère que l’immunité collective serait atteinte plus rapidement. (4) L’incidence des formes bénignes et asymptomatiques est l’élément clef qui nous manque aujourd’hui, pour nous aider à déterminer lequel de ces 2 modèles est le plus proche de la réalité.
Les passagers du bateau de croisière Diamond Princess constituent un foyer d’infection dont l’étude en termes d’épidémie est intéressante. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un article scientifique de CDC (5). Cependant, il est important de conserver à l’esprit que ce foyer d’infection n’est pas nécessairement représentatif d’autres situations. En effet, les passagers des croisières sont souvent plus âgés et ont donc un risque plus élevé de présenter d’autres maladies. Il existe également des facteurs liés à la qualité de l’air, aux installations sanitaires et aux espaces de restauration. Le taux de mortalité de ce foyer d’infection est actuellement de 1.4% (10/712). Ces passagers étaient, a priori plutôt âgés, présentaient probablement des maladies par ailleurs, et sont restés dans un espace confiné en présence d’un nombre important de personnes infectées donc exposés à une charge virale potentiellement forte. Pour toutes ces raisons, je pense que le taux de mortalité au sein de ce foyer d’infection est plus important que ne serait celui d’une population moyenne en « condition normale » d’exposition. Notons que 46.5% des patients testés positifs n’avaient aucun symptôme au moment du dépistage, et que 17.9% n’ont jamais développé de symptômes.
Les taux de mortalité les plus élevés sont retrouvés chez les personnes de plus de 80 ans, ce qui est vrai pour toute infection. Le taux de mortalité des personnes de moins de 40 ans est de 0.2%, la plupart des décès survenant chez des patients présentant déjà d’autres maladies. La mortalité élevée chez les professionnels de santé (qui est une constante dans toutes les épidémies), semble être liée à la charge virale. Les soignants sont, en effet, en contact avec les personnes les plus malades. Or nous savons que, dans de nombreuses infections, il existe un lien entre la quantité de virus à laquelle un individu est exposé, et la gravité de la maladie qu’il développe. Un récent rapport de l’OMS suggère que, depuis fin janvier, alors que la propagation du virus est mieux comprise, l’incidence de la maladie chez les professionnels de santé a significativement baissé en Chine. (3)
Les foyers d’infection internationaux donneront des informations très utiles quant à la gravité et de la contagiosité du COVID-19. Les courbes épidémiques des foyers internationaux sont régulièrement mises à jour par le CHP.(6) L’Italie a mis en place une mesure de distanciation sociale forte le 9 mars puis le 11 mars 2020. L’étude des courbes épidémiques en Italie, en France et en Espagne, sur les 2 semaines qui arrivent, nous permettra d’évaluer l’impact des mesures de santé publique prises en Europe et de comparer avec les mesures plus strictes prises à Hong Kong, en Chine et à Singapour. Le Lancet a publié un modèle épidémiologique montrant que la mise en place de mesures de santé publique a un effet réel et rapide, comparativement à une non-intervention (6) ; d’après cette étude, les premiers signes apparaissent dans les 3 à 4 jours suivants la mise en place des mesures. C’est évidemment une information importante si l’on s’aperçoit que cet effet perdure.
Une récente et importante étude portant sur 9 femmes enceintes suggère que les femmes en fin de grossesse ont déclaré une maladie de gravité comparable aux autres femmes (4). L’infection n’a pas été transmise à leur bébé. Des études ultérieures semblent montrer qu’il n’existe pas de risque accru pendant la grossesse et que le COVID-19 n’a aucun impact sur le développement fœtal. Une étude plus approfondie sera cependant nécessaire.
Il y a actuellement 454 cas à Hong Kong. La majorité des cas récents provient de 3 sources : des personnes revenant d’Europe et des US, des personnes en quarantaine ou des personnes entrées en contact direct avec un cas confirmé connu. Des cas contaminations au sein de la communauté existent mais ils restent rares.
Il semble de plus en plus probable que la transmission se fasse via des cas plus bénins. C’est dans les premiers jours d’apparition des symptômes que les individus seraient le plus contagieux. Le rôle joué par les individus asymptomatiques ou par ceux n’ayant pas encore développé de symptômes n’est pas encore vraiment compris. La transmission par des cas bénins rend les stratégies de confinement plus compliquées mais suggèrent également que cette maladie est finalement moins grave au cas par cas.
Il ne fait aucun doute que cette maladie est importante et que certains malades développeront des complications graves. En effet, l’une des caractéristiques de cette maladie est l’aggravation de l’état de certains patients, qui développent alors des problèmes respiratoires sévères. Par ailleurs, une maladie, même si sa mortalité est faible, peut malgré tout avoir un impact important si elle se propage à grande échelle. Elle peut mettre une forte pression sur les systèmes de santé ; c’est ce qui explique les mesures de santé publique qui ont été prises.
Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer précédemment, les questions concernant la maladie se rapportent à la question « que se passera-t-il s’il nous arrive quelque chose, à ma famille ou à moi-même ? ». Pour appréhender le risque qu’il vous arrive quelque chose, il faut remplacer cette question par la suivante : « Quel est le risque que j’attrape le COVID-19 ? »
Or, les informations sont indispensables pour répondre à cette question. Lorsque nous évoluons dans un environnement qui présente des incertitudes, il est important de pouvoir comparer le risque ; et pour évaluer ce risque, il faut comprendre l’épidémie.
Pour comprendre la probabilité de propagation d’une maladie, il faut comprendre les facteurs qui influencent cette propagation.
Pour comprendre la probabilité de propagation d’une maladie, il faut comprendre les facteurs qui influencent cette propagation.
Les principaux facteurs déterminants l’évolution d’une épidémie sont :
Le mode de contamination : cette maladie se propage par l’intermédiaire de gouttelettes et de contacts rapprochés. Certains relatent également une transmission fécale. La maladie a tendance à se répandre au sein des familles ; une étude épidémiologique en Chine montre que jusqu’à 85% des transmissions interhumaines ont eu lieu au sein des familles. (6)
Ces informations sont très importantes car les maladies ainsi transmises peuvent potentiellement être contenues grâce à des mesures de santé publique telles que :
Nous tenons à souligner notre soutien à ces mesures de santé tout à fait appropriées.
La période d’incubation : il s’agit de la période qui s’écoule entre le moment ou la personne est infectée et le moment où elle développe les premiers symptômes. D’après l’OMS, la période moyenne d’incubation est de 5 à 6 jours bien que dans certains cas elle s’étende à 14 jours. Le temps de doublement de l’épidémie est de 6 à 7.4 jours. A titre de comparaison, il est de 2 jours pour le virus influenza (responsable de la grippe). Cela signifie que chaque nouvelle semaine, nous avons deux fois plus de données que la semaine précédente.
La contagiosité durant la période d’incubation : Nous ne savons pas encore réellement à quel moment le virus devient infectieux. Nous avons par ailleurs des preuves irréfutables de la transmission interhumaine, dans de nombreux pays, y compris à Hong Kong. Le consensus actuel est que l’excrétion virale (c’est-à-dire l’infectiosité) est maximale dans les premiers jours d’apparition des symptômes. L’augmentation actuelle de l’incidence suggère clairement que ce virus est assez contagieux. Mais il est important de comprendre que la contagiosité et la gravité peuvent être inversement proportionnel. Plus le nombre de cas est important, moins la maladie est généralement grave (le taux de mortalité diminue).
Le système immunitaire : le système immunitaire dépend de nombreux facteurs dont l’âge et l’existence d’autres maladies. Mais d’autres facteurs, ayant eux aussi un effet sur le système immunitaire peuvent être améliorés : avoir un régime alimentaire équilibré, faire du sport, dormir suffisamment, éviter le stress, conserver un moral positif, et se faire vacciner contre les autres maladies telles que la grippe.
La manière avec laquelle ces facteurs peuvent, dès lors, influencer l’importance d’une épidémie est décrite ici.
De nombreux reportages médiatiques confondent la maladie et l’épidémie : ils font référence au nombre de morts (taux de mortalité) et à la gravité de la maladie, et confondent ces données avec la contagiosité de celle-ci. L’impact de cette maladie sur notre population sera déterminé par l’évolution de l’épidémie. Cela deviendra de plus en plus clair au fur et à mesure que nous collecterons des informations sur les personnes ayant été en contact avec des personnes infectées. Le SRAS avait affecté 8000 personnes et tué 744 personnes en 2003. D’après une estimation de l’OMS, la grippe tue 650 000 personnes chaque année, à cause des seules complications pulmonaires. Le CDC (Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies) estime que la grippe a déjà tué cet hiver entre 23 000 et 59 000 personnes aux Etats-Unis. En comparaison, le COVID-19 a tué 22 538 personnes (7).
L’objectif ici n’est pas de réduire l’importance de ce nouveau virus ou des mesures de santé publique prises, mais de replacer les données actuelles dans leur contexte. Nous ne sous-entendons pas que ce COVID-19 ressemble à la grippe, ce n’est pas le cas. Si l’on accepte les limites des projections faites à partir des données précoces d’une épidémie, cette maladie semble actuellement plus grave que la grippe saisonnière. Grave à quel point ? Il faudra plus de temps pour l’établir. Cependant, les premiers indicateurs suggèrent que cette maladie sera moins grave que ce qui a été imaginé en premier lieu. L’impact qu’elle aura sur la population dépendra de l’évolution de l’épidémie.
Les maladies infectieuses sont toutes plus graves chez les personnes âgées, les enfants, les personnes démunies et les individus immunodéprimés. L’OMS a déclaré le COVID-19 pandémie. L’une des plus grandes craintes, en termes de population, est de voir cette maladie se déclarer dans les pays en voie de développement. Une récente étude a en effet expliqué que « la gestion et le contrôle du COVID-19 dépendent fortement des capacités sanitaires des pays » (8).
Hong Kong dispose d’un excellent système de santé publique et des mesures de santé publiques adaptées ont été prises pour protéger les personnes les plus vulnérables de notre communauté.
Nous continuerons à mettre à jour cet article au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles données et en fonction de l’évolution des informations.
Pour mieux comprendre les récentes mesures santé publiques prise, cliquer ici.