Article rédigé par le Dr David Owens le 21 février 2020
Mis à jour le 2 avril 2020
Pour comprendre quel est le risque d’attraper le COVID-19, il faut comprendre comment se comporte une épidémie donc se pencher sur les chiffres et les données. Pour simplifier l’explication, je reprends mon analogie entre l’épidémie et l’incendie.
L’épidémie
Imaginez cette épidémie comme un incendie qui se serait embrasé à Wuhan. Nous n’avions aucun moyen de l’éteindre (aucun médicament pour traiter la maladie) donc nous avons dû nous efforcer de le maitriser, mais le feu devra s’éteindre par lui-même. La nature donne parfois un coup de pouce et dans le cas du coronavirus, ce sont la chaleur et le soleil, plutôt que la pluie, qui aideront à éteindre l’incendie. Comment les mesures de santé publique fonctionnent-elles ? Nous avons construit un mur autour du feu pour le contenir. Mais comme cela arrive souvent dans une telle situation, des braises se sont échappées ; certaines ont atterri sur le sol et se sont éteintes, d’autres ont fait démarrer de nouveaux petits incendies. Heureusement, l’alarme ayant sonné, chacun s’est mis à faire attention et à se concentrer sur les nouveaux cas ; or les petits incendies sont généralement plus faciles à maitriser que les gros. Une braise peut cependant atterrir sur un sol particulièrement sec et vulnérable et être à l’origine d’un incendie important (ou de plusieurs petits). C’est ce qui est arrivé sur le bateau de croisière, mais aussi en Iran, en Corée et en Italie.
L’efficacité avec laquelle ces feux seront maitrisés dépendra de plusieurs facteurs dont l’état immunitaire de la population, les facteurs environnementaux et politiques qui influencent la capacité des pompiers à faire leur travail de confinement, ainsi que la capacité du système de santé à faire face aux complications liées à la maladie. Les maladies infectieuses (les incendies dans mon analogie) ont toujours des conséquences plus graves dans les pays pauvres, dont les systèmes de santé sont peu développés. Le directeur général de l’OMS a lancé des appels de plus en plus appuyés aux pays pour leur demander de se préparer. Après une réponse plutôt morcelée, le monde a répondu de façon spectaculaire à la déclaration de pandémie. Des mesures de distanciation sociale, incluant les fermetures de frontières, la restriction des déplacements nationaux et internationaux, et des mesures de quarantaine, ont été mises en place partout dans le monde.
J’ai expliqué, dans un autre article, les raisons pour lesquelles les écoles ont été fermées ; ce n’est pas à cause des conséquences de la maladie sur les enfants. Fermer les écoles revient à arroser le sol et diminuer le risque de départ d’un nouvel incendie. L’objectif des contrôles de santé publique est de minimiser la propagation, booster l’immunité de la population et contenir les petits feux en mettant en quarantaine les individus qui sont entrés en contacts avec des personnes infectées.
Toute épidémie de maladie infectieuse peut être caractérisée par son taux de reproduction de base R0. Il représente, en moyenne, le nombre d’individus qu’une personne malade peut infecter. Si ce taux < 1, alors l’épidémie s’éteint (car cela signifie qu’en moyenne, chaque personne malade infecte un peu moins d’une personne). Si ce taux > 1 alors l’épidémie a toutes les chances de progresser. Les maladies dont le R0 est plus élevé ont plus de risque de se propager. Les mesures telles que l’isolation des personnes infectées, le port du masque, le lavage des mains, la fermeture des écoles, et la distanciation sociale ont toutes pour objectif de réduire le risque d’exposition, et donc, de faire passer ce R0 en dessous de 1, afin d’augmenter les chances de voir l’épidémie s’éteindre. En Chine, les mesures de santé publique ont été très efficaces puisqu’elles ont permis de faire baisser le R0 initial de 3.5 à 0.38. L’efficacité des mesures prises en Europe sera essentielle pour le contrôle de l’épidémie.
Le graphe ci-dessous est la courbe épidémique du COVID-19 en Chine ; elle représente le nombre de nouveau cas par jour.
Document 1 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Chine continentale depuis le 10 Janvier 2020 (incluant les cas déclarés sur la base du diagnostic clinique dans la province du Hubei depuis le 12 février 2020). Le pic observé sur le graphe correspond au moment où la Chine a changé ses critères de déclaration des cas, passant d’un diagnostic basé sur les tests à un diagnostic clinique. Cette décision avait tout son sens puisque le nombre de kit de tests était limité.
Le document 2 représente la dernière courbe épidémique dans le Guangdong (1).
Document 2 : nombre quotidien de cas confirmés dans la province du Guangdong depuis le 10 Janvier 2020.
Ce document explique pourquoi les autorités chinoises sont extrêmement confiantes dans le fait que l’épidémie en Chine est maintenant sous contrôle. Les mesures de santé publique ainsi que le confinement drastique ont été très efficaces. L’incendie principal est probablement en train de s’éteindre. Il n’y a cependant pas de place ici pour l’autosatisfaction ; en effet les incendies peuvent toujours reprendre et se propager ailleurs, comme on peut le constater actuellement dans différents pays. L’OMS réalise les courbes épidémiques consolidées des cas de COVID-19 en dehors de Chine (2). Elles peuvent être vues comme l’intensité combinée de tous les incendies dans le monde, et on constate que cette intensité augmente. Alors que l’incendie en Chine a été contrôlé, des feux se sont déclarés partout dans le monde. L’augmentation de l’incidence des nouveaux cas, dans de plus nombreux pays, correspond, dans mon analogie, à une augmentation du nombre de braises, toutes capables d’être à l’origine d’un incendie de grande ampleur. Aussi, l’endiguement de ces nouveaux cas sera essentiel pour minimiser la taille de l’épidémie.
Document 3 : Nombre de cas confirmés de COVID-19, par date de déclaration et par région, au 1er avril 2020
Pour avoir une vision large de cette épidémie, il faut étudier, indépendamment, les courbes épidémiques de chaque foyer d’infection. Elles nous permettront de savoir où les incendies font rage mais, plus important encore, ou ils s’intensifient et où ils s’éteignent.
La courbe ci-dessous est celle de l’épidémie en Corée, et on comprend alors pourquoi le directeur général de l’OMS a exprimé son optimisme au sujet des efforts d’endiguement réalisés dans ce pays.
Document 4 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Corée depuis le 10 janvier 2020. Vous trouverez ici une analyse détaillée des différents foyers d’infection coréens.(3)
Document 5 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés au Japon depuis le 10 Janvier 2020.
Document 6 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Italie depuis le 10 Janvier 2020. Vous trouverez ici une analyse détaillée des différents foyers d’infection italiens.(4)
L’Italie a mis en place des mesures fortes de distanciation sociale les 9 et 11 mars 2020. Etudier parallèlement les foyers d’infection d’Italie et du Hubei nous permettra de comparer le comportement de l’incendie face à 2 stratégies de confinement différentes. L’aplanissement des courbes serait un signe d’espoir que des mesures similaires pourraient fonctionner dans les autres pays européens. Le Lancet a publié une étude du modèle épidémiologique de la réglementation italienne en matière de santé publique : il montre que la mise en place de mesures de santé publique a un effet réel et rapide, comparativement à une non-intervention (5) ; d’après cette étude, les premiers signes apparaissent dans les 3 à 4 jours suivant la mise en place des mesures. C’est évidemment une information importante si l’on s’aperçoit que cet effet perdure
Document 7 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Iran depuis le 10 Janvier 2020.
Document 8 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en France depuis le 10 Janvier 2020
Document 9 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Allemagne depuis le 10 Janvier 2020. Les nouveaux cas confirmés le 9 mars 2020 et le 18 mars 2020 incluent respectivement les données de 8h00 à 15h00 et de 15h à minuit heure locale.
Document 10 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés en Espagne depuis le 10 Janvier 2020
Document 11 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés au Royaume Uni depuis le 10 Janvier 2020
Document 12 : nombre quotidien de nouveaux cas confirmés aux Etats-Unis depuis le 10 Janvier 2020
Essayez de vous concentrer sur l’évolution du nombre de cas plutôt que sur leur accumulation. En effet, de nombreux journaux se focalisent sur les données cumulatives, c’est-à-dire le nombre total de cas ; or le nombre total de cas d’infection, tout comme, le nombre total de morts ne peuvent qu’augmenter de jour en jour. En revanche c’est en s’attachant à étudier comment évoluent ces nombres, jour après jour, que l’on pourra savoir si l’incendie s’intensifie ou se calme. Notons que, au sein de chaque pays, il ne s’agit pas d’un foyer massif et unique, mais de nombreux petits foyers, ce qui pose un risque totalement différent. Gardez également à l’esprit que le nombre de morts est une donnée décalée : les individus tombent d’abord malades, puis sont en général diagnostiqués et enfin, récupèrent ou meurent. Dans les premières séries de patients, la courbe de mortalité était décalée de 10 à 12 jours par rapport à celle des nouveaux cas. Grace à une meilleure utilisation des traitements, il faut s’attendre à ce que ce décalage augmente, et donc, à ce que la courbe des nouveaux cas et la courbe de mortalité soient désormais décalées de quelques semaines.
Il est également important de noter que l’augmentation du nombre de cas est maintenant souvent liée des contacts entre individus. Il s’agit d’individus qui ont été dépistés et traités, et non plus d’individus qui se sont rendus à l’hôpital car ils se sentaient malades, comme ce fut le cas dans les premiers foyers d’infection de Wuhan. Les informations concernant les cas plus bénins seront essentielles car, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, plus le nombre de cas légers est important, moins le risque que cette maladie ne soit grave au cas par cas est grand.
Le terme de pandémie est donné, toujours dans mon analogie, lorsque des incendies se sont déclarés sur plusieurs continents. Mais le nom ne change rien ; l’impact sur la population dépendra de l’intensité des incendies et de la capacité à les contenir.
Les conséquences finales de cette maladie sur la population dépendront de l’évolution de l’épidémie. Focaliser de manière excessive sur la maladie elle-même peut provoquer une distorsion du risque réel et ainsi augmenter significativement l’anxiété pour les raisons exposées ici.
L’information et l’éducation sont les facteurs clefs de la gestion des maladies infectieuses, mais également de l’anxiété. Nous avons déjà expliqué l’importance de pouvoir comparer le risque et nous avons choisi de comparer le COVID-19 à la grippe car c’est une maladie que nous connaissons. Le COVID-19 n’est pas une grippe et nous ne minimisons pas l’importance de cette maladie qui, pour le moment semble plus grave que la grippe. Mais tant que nous n’avons pas plus d’informations sur les cas les plus bénins, nous ne pouvons rien affirmer quant à la gravité de la maladie au cas par cas. La grippe est responsable de 650 000 morts liées à des problèmes respiratoires. Et bien que le nombre de cas de COVID-19 soit actuellement bien plus faible que celui de la grippe, il augmente dans certaines parties du monde. Seule la taille finale de l’épidémie nous permettra de savoir si le COVID-19 a une morbidité supérieure à celle de la grippe. Cela dépendra en grande partie du succès des interventions de santé publique ; la comparaison ne sera possible qu’a posteriori. Quoiqu‘il en soit, pour avoir une idée de l’évolution du risque, il faut étudier l’évolution du nombre de cas plutôt que les données cumulatives.
Pour en savoir plus sur la différence entre la maladie et l’épidémie, cliquer ici.
Références
1. (2020). Retrieved 5 February 2020, from https://www.chp.gov.hk/files/pdf/statistics_of_the_cases_novel_coronavirus_infection_en.pdf
2. Coronavirus disease 2019 (COVID-19) Situation Report – 66. (2020, March 26). Retrieved from https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/situation-reports/20200326-sitrep-66-covid-19.pdf?sfvrsn=81b94e61_2
3. Centre for Health Protection. “Latest Situation of COVID-19 in Korea and Revised Reporting Criteria for Suspected Cases of COVID-19.” Latest Situation of COVID-19 in Korea and Revised Reporting Criteria for Suspected Cases of COVID-19, Feb. 24AD, www.chp.gov.hk/files/pdf/letters_to_doctors_20200224.pdf
4. Centre for Health Protection. “Latest Overseas Situation of COVID-19 and Revised Reporting Criteria for Suspected Cases of COVID-19.” Latest Overseas Situation of COVID-19 and Revised Reporting Criteria for Suspected Cases of COVID-19, 28 Feb. 2020, www.chp.gov.hk/files/pdf/letters_to_doctors_20200228.pdf
5. Saglietto, A., D'Ascenzo, F., Zoccai, G. B., & De Ferrari, G. M. (2020, March 24). COVID-19 in Europe: the Italian lesson - The Lancet. Retrieved from https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30690-5/fulltext